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  • 16 mars 2019

    La servante écarlate de Margaret Atwood - Dystopie féministe, mais pas que

    Auteur : Margaret Atwood
    Éditeur : Pavillons poche (2017)
    Genre : Dystopie, Science-fiction
    Pages : 521 (format poche)


    Lu dans le cadre du « Féminibooks Challenge »

    Le résumé : Devant la chute drastique de la fécondité, la république de Gilead, récemment fondée par des fanatiques religieux, a réduit au rang d'esclaves sexuelles les quelques femmes encore fertiles. Vêtue de rouge, Defred,  « servante écarlate » parmi d'autres, à qui l'on a ôté jusqu'à son nom, met donc son corps au service de son Commandant et de son épouse. Le soir, en regagnant sa chambre à l'austérité monacale, elle songe au temps où les femmes avaient le droit de lire, de travailler... En rejoignant un réseau secret, elle va tout tenter pour recouvrer sa liberté.


    Ma chronique : Il y a des romans qu'on ne pense jamais à lire, faute d'occasion et d'inspiration. Il y en a même dont on se persuade à l'avance et à tort qu'ils ne sont pas pour nous. La servante écarlate de Margaret Atwood a pour moi fait partie des deux, et sans ma participation au Féminibooks Challenge j'ignore si je l'aurais vu atterrir un jour sur mes étagères. Clairement, c'est dans des cas comme celui-là que je me dis que les challenges ont du bon. Parce que passer à côté de tout ça, de cette bombe littéraire, maintenant que je sais ce que j'aurais raté, ç'aurait été une belle erreur. Une terrible erreur.  ~ et dire que la poste a failli ne jamais me l'amener !

    Les Etats-Unis d'Amérique tels que nous les connaissions sont tombés en une nuit, et de l'ombre a émergé la République dictatoriale de Gilead. En réponse à la chute dramatique de la fécondité dans la population caucasienne, les fanatiques religieux à la tête du système ont fait des femmes encore en âge de concevoir des Épouses ou des Servantes. Et tandis que les premières jouissent de droits tous relatifs dont ne peuvent pourtant que rêver les secondes, les Servantes se voient dépouillées de tout, jusqu'à leur nom, et réduites à une seule et unique fonction : la conception à tout prix. Defred, Servante écarlate, vient d'être affectée à son nouveau Commandant et son Épouse infertile. Elle dispose de trois années pour donner naissance à un enfant viable. Passé ce délais, ce sera les Colonies et une mort à petit feu. Mais dans sa chambre dépouillée, Defred se souvient des temps d'avant ...

    Les romans qui m'embarquent d'emblée sont rares. Tous genres confondus, il me faut généralement une petite trentaine de pages pour que je prenne mes marques, saisisse de quoi il en retourne et plonge finalement dans un récit. Margaret Atwood, elle, m'a retournée comme une crêpe dès la quatrième page. Une phrase, une seule, et toute l'atmosphère du roman m'est tombée dessus comme une chape de plomb. J'en étais à peine à la dixième minute de ma lecture que je me disais déjà, effarée : « Ah oui. On en est là. ». Sachez-le, La Servante écarlate est un roman imprégné d'effroi et de malaise, mais qu'on ne peut pas s'empêcher de lâcher. On veut savoir, on veut comprendre, quand bien même en regardant le monde autour de soi on a déjà tous les éléments qu'il nous faut - Amérique ou pas Amérique. Faites-vous-y, mais préparez-vous surtout à la banalité glaçante du ton employé par Margret Atwood, tout aussi percutant, si ce n'est plus, que le fond du roman. Car une fois dedans, on n'en sort plus, et certainement pas indemne.

    C'est à travers le quotidien de Defred que Margaret Atwood nous fait vivre son roman. Defred dont les journées sont rythmées par les commissions, les Rédemptions populaires et les Cérémonies en la compagnie détestable de son Commandant et de son Épouse. Defred dont on n'attend que le silence et l'obéissance, qu'on surveille étroitement, sans arrêt. Defred à qui l'on a arraché son nom, son enfant ; à qui on a retiré le droit de lire et de posséder. Defred, enfin, que la République de Gilead a brisée mais pas vaincue et qui le soir, dans sa chambre dépouillée, se souvient de sa famille et du temps d'avant. Un temps pas loin du nôtre, d'ailleurs, dont les nouvelles quotidiennes résonnent effroyablement avec ce récit. Plus qu'un roman, La servante écarlate est un témoignage fait de petites choses du quotidien, où l'horreur se trouve dans les détails jetés au détour d'une phrase. Pas d'action, pas de rebondissements ni de courses-poursuites. Rien que le regard que Defred pose autour d'elle avec détachement, et ce qui lui reste d'indignation, d'insurrection et de bravoure. Un parti pris bourré d'authenticité qui m'a beaucoup plu.

    La Servante écarlate n'en met pas plein la vue. C'est tout en banalité et en détachement que le roman vous colle ses frissons, et c'est bien ce qui interpelle. 

    Davantage que de la dystopie, c'est pratiquement de l'anticipation que relève La Servante écarlate. La République de Gilead n'est pas qu'une invention de Margaret Atwood : c'est un condensé d'éléments glanés ici et là dans le passé et le présent de l'Humanité. Le système dans lequel évolue Defred n'est fait de rien de neuf que ce qui n'existait ou n'existe déjà, et rien ne nous garantit qu'il n’existera jamais - la voie actuelle paraît d'ailleurs déjà méchamment bien tracée, actualité à l'appui. Plutôt que de se poser la question de savoir si un tel cauchemar peut survenir, mieux vaut se demander quand. Ainsi, comme beaucoup d'ouvrages de science-fiction avant lui, La Servante écarlate est criante de vérités en tous genres, mais pas seulement de vérités féministes. Hommes ou femmes, tous sont brisés à leur manière, et réduire La Servante écarlate à une oeuvre féministe, c'est passer à côté d'un pan entier du récit qui fait de chacun un dommage collatéral de l'émergence de la dictature gileadienne.

    Ce roman vous met face au monde dans toute son horreur passée, présente et future. La science-fiction dystopique comme on l'aime, arrosée d'une bonne grosse dose de féminisme, mais pas que.

    J'aurais aimé ajouter quelques mots au sujet du dernier chapitre, ces fameuses « Notes historiques » que nous livre Margaret Atwood en fin de récit, mais le faire reviendrait à dévoiler le clou du spectacle, alors je m'abstiens tant bien que mal. Sachez toutefois que le froid recul qu'on y découvre m'a sans doute davantage marquée que tout le reste - de quoi sérieusement méditer sur le regard parfois condescendant que nous jetons sur le passé

    Bref, La Servante écarlate est aux antipodes de la dystopie façon Hunger Games ou Divergente. Si c'est ce que vous cherchez, alors partez fouiner ailleurs, vous seriez déçus voire même dégoûtés de tant d'inaction et de longueurs. Mais pour peu que vous soyez demandeurs de réalisme, c'est un roman prenant et magistral qui vous attend, construit à la façon d'un grand huit et conté avec un détachement effroyable auquel j'ai personnellement adhéré. A lire d'urgence !

    Note : 18/20

    Date :  06 mars 2019 - 10 mars 2019

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