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  • 5 janv. 2019

    Des sorciers et des hommes de Thomas Geha - Karma in your face !

    Auteur : Thomas Geha
    Éditeur : Critic (2018)
    Genre : Fantasy
    Pages : 318 (grand format)


    Le résumé : Sur la grande île de Colme, quand on sait mettre toute morale de côté, la vie offre de nombreuses opportunités. Boire, voler, rudoyer ou tuer, tel est le quotidien de Hent Guer, un guerrier redoutable, et de Pic Caram, un sorcier aux rubans. Tous deux écument routes et cités à la recherche de proies faciles. Toutefois, leurs plans se trouvent contrariés lorsqu’un matin de gueule de bois, Hent constate, impuissant, la disparition de Pic. Sur la grande île de Colme comme ailleurs, les talents d’un sorcier aux rubans attirent bien des convoitises ! Pour le mercenaire, pas question d’abandonner son partenaire de crime : spolier son prochain est beaucoup plus drôle avec l’aide d’un sorcier à la morale légère. Voici donc le récit des aventures de Hent Guer et Pic Caram, et les mésaventures de ceux qui ont la malchance de croiser leur route !

    Ma chronique : Les éditions Critic, pour moi, c'est un peu comme une raclette en hiver : une valeur sûre. On n'est jamais à l'abri d'un "bof-mouais" de temps en temps - ce qui m'était arrivé avec Arca de Romain Benassaya - , mais globalement, leur sélection envoie du lourd.  Et comment vous dire qu'avec Des sorciers et des Hommes, on n'est plus dans le domaine du lourd mais dans celui du pâté cosmique ? Un régal qui m'a retournée en deux temps, trois mouvements, et que je vais m'efforcer de vous vendre, là, maintenant.

    Les sorciers se font rares sur la grande île de Colme. Autrefois nombreux, Gransangs, guildes et puissants en tous genres se disputent aujourd'hui leurs services - à défaut de pouvoir se les soumettre. Pic Caram, en sa qualité de sorcier aux rubans, est un homme très demandé et en conséquence très vulnérable, raison pour laquelle l'accompagne le renégat Hent Guer, un redoutable guerrier de Scalèpe. La vie des deux comparses est simple. De contrat en contrat ils pillent, tuent, blasphèment et trompent pour autant que les coffres emplis d'irsses d'or suivent par derrière. La morale, après tout, c'est pour les tapettes et ceux qui se refusent à faire fortune - et puis qu'est-ce qu'on se fend la tronche à spolier son prochain ! Sur le chemin de la gloire qu'ils appellent de tout leur orgueil, ils laissent dans leur sillage quantité d'hommes et de femmes lésés. Une idée qui n'est pas des plus lumineuses, surtout lorsque le karma guette...

    «Hent Guer sursauta sur sa couche, roula d'un mouvement brusque sur sa gauche et vomit. Hélas pour lui, ou plutôt hélas pour le tavernier qui lui louait la chambre, le pot était rangé à droite.»

    Vous aimez les séries télé ? Oui ? Ben ça tombe plutôt bien, Des sorciers et des hommes vous donnera l'impression d'en être une. Parce qu'avec son roman, Thomas Geha sort totalement des trames narratives classiques et se lance dans un hors piste ô combien jouissif. Oubliez les très fameux situation initiale, événement déclencheur et toute la clique, et dites bonjour à un récit épisodique, fait d'épisodes successifs (non, sans blague Choupaille, on l'avait pas deviné...) rappelant le meilleur des séries télé. Vous voyez, quand vous vous enfilez allègrement et dans la bonne humeur trois-quatre épisodes en apparence indépendants, que vous en venez presque à vous demander ce que c'est, ce bordel, et que finalement, en une, deux, trois claques, tout prend sens ? Hé bien ça, chers lecteurs, c'est la construction Des sorciers et des hommes.

    Mais pour savourer ce bouquin de Thomas Geha à sa juste valeur et vous bidonner avec lui, il faudra avant tout que vous aimiez l'humour bien noir et bien piquant. Empathiques chroniques, abstenez-vous de lire ce livre - ou bien soyez prêts à prendre sur vous jusqu'à ce que le karma reprenne à la volée nos deux protagonistes. Ça, vous apprécierez, je vous le garantis. Et si au départ les plus immoraux d'entre nous se bidonnent effectivement des mauvais tours que jouent Hent Guer et Pic Caram à ceux qui ont le malheur de les croiser - non, c'est pas de la cruauté, c'est de l'enthousiasme littéraire, s'il vous plaît - , nous, on sent l'ascenseur revenir, et on pressent que ça va faire mal. A juste titre, je ne vous le cache pas, et vous seriez bien mal inspirés de passer à côté de l'affaire ! L'univers qui met une rouste à deux protagonistes en théorie détestables, ça ne se rate pas.


    En théorie détestables, oui, car on s'y attache vraiment, à ces petites saletés, à ces «héros» qui n'en ont que le nom ; on a envie qu'ils prennent cher, ça oui, mais on les aime quand même bien - et ça c'est fort. D'un côté, on a Pic Caram, sorcier aux rubans qui ne paie pas de mine sous ses airs de petit gros et casse bien gentiment les clichés du magicien tout bon ou tout vilain - coucou Gandalf, coucou Saruman. D'un autre, on a Hent Guer, et quoique lui a finalement à sa disposition toute la panoplie du barbare qui se respecte - amour de la boisson, de la baston et de l'entrecuisse inclus - son immoralité n'en est que plus savoureuse. Parce que c'est vraiment de ça qu'il est avant tout question dans la première partie de ce bouquin : d'immoralité, d'orgueil, de «moi d'abord et qu'importe si les autres en font les frais, ce sera poilant». Dans le fond, et là je reprends ma casquette sérieuse deux minutes, Hent Guer et Pic Caram tranchent avec ce qu'on rencontre traditionnellement en Fantasy. Ni gentils, ni méchants, juste deux égoïstes adeptes de la loi du plus fort. C'est hyper réaliste,  à tel point qu'on n'arrive pas à les détester et qu'on a presque de la peine pour eux en fin de roman. Non, pire que de la peine, j'ai reçu trois, quatre, cinq claques en pleine face - merci Thomas, c'est sincère.

    «C'était la loi du monde que lui et Pic avaient appliquée. C'était la loi du monde qu'on appliquait contre eux.»

    Mais que serait un grand roman de Fantasy sans un bon univers de Fantasy, je vous le demande ? Pas grand chose, ouais, on est d'accord. Heureusement, Des sorciers et des hommes est aussi bien loti de ce côté là que de tous les autres. Le monde de la grande île de Colme est solide comme du béton armé et, je vous rassure tout de suite, on ne s'y fracasse pas les dents. A vrai dire on le dévore plutôt - attention, ça croustille pas mal sous les papilles - et c’est loin d'être dégueulasse. On n'est pris ni pour des enfants de trois ans ni pour des extralucides par Thomas Geha : il développe ce qui doit l'être au bon moment, de la bonne façon, tout en nous laissant du mou pour interpréter tout seuls comme des grands. Ça se lit très, très bien et je ne vous parle même pas des néologismes hyper immersifs qui jalonnent la route : fouillevie, branchesève, Grandsang, Petitsang ; vous le sentez, là, le poids de cet univers hyper bien dosé ? Vous le voyez, ce rideau qui se lève peu à peu sur ce monde à mesure que Hent et Pic sèment la misère derrière eux ? Moi je l'ai vu, et vous devriez jeter un œil aussi.

    Tout ça pour vous dire - non, vous sommer, flingue contre la tempe, presque ! - de vous procurer cette pépite, cette merveille, ce pâté cosmique, comme je l'ai appelé plus tôt. Franchement, quand bien même chacun a ses préférences, ce bouquin-là a tout pour lui. Si si. L'univers, l'humour, le fond, les personnages, les claques. Surtout les claques. Commencer l'année avec un bouquin pareil, c'était inespéré. Vous pouvez foncer.



    Note : 20/20

    Date : 02 janvier 2019 - 04 janvier 2019

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