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  • 29 mars 2019

    Docteur Sleep de Stephen King - Vampires affamés, vapeurs opiacées

    Auteur : Stephen King
    Éditeur : Albin Michel
    Genre : Fantastique
    Pages : 584 (grand format)


    Le résumé : Danny Torrance a grandi. Ses démons aussi... Hanté par l’idée qu’il aurait pu hériter des pulsions meurtrières de son père Jack, Dan Torrance n’a jamais pu oublier le cauchemar de l’Hôtel Overlook. Trente ans plus tard, devenu aide-soignant dans un hospice du New Hampshire, il utilise ses pouvoirs surnaturels pour apaiser les mourants, gagnant ainsi le surnom de Docteur Sleep, Docteur Sommeil. La rencontre avec Abra Stone, une gamine douée d’un shining phénoménal, va réveiller les démons de Dan, l’obligeant à se battre pour protéger Abra et sauver son âme...


    Ma chronique : Passer après le monument Shining, voilà qui était excessivement délicat. D'autant plus délicat, d'ailleurs, que votre humble servante qui voici n'avait pas ménagé son enthousiasme pour ce dernier il y a six mois, et attendait donc plus ou moins au tournant cette suite à l'allure déroutante. Une inquiétude bien vaine tant ce roman s'est révélé être le digne fi-fils à son papa, quoique jouant dans une cour différente que celle de Shining. Dieu que c'était bon ! Allumez vos feux anti-brouillard et dégainez la gousse d'ail, ça vapote pas mal et ça flaire la mort là où nous entraîne le King ~ et son nom, il ne l'aura une fois de plus pas volé.

    Bien des années ont passé depuis que l'Overlook est parti en fumée, emportant dans la terrible explosion de sa chaudière Jack Torrance. Danny Torrance, son fils doué de pouvoirs exceptionnels et à jamais hanté par la malfaisance de l'hôtel, est à présent adulte. Le Don qu'il manifestait enfant ne l'a pas quitté, et c'est aujourd'hui dans les brumes de l'alcool que Danny - Dan - tente désespérément de le noyer en quête d'un peu de répit. Un verre après l'autre, il dévale la pente à toute vitesse et échoue ravagé à Frazier, une petite ville où, Tony le lui souffle, l'attend le meilleur - enfin. Et tandis que Dan revit, une petite fille, à peine un nourrisson, tâtonne et cherche le contact. Une petite fille comme lui, mais au Don sans pareil ... et qui attire la convoitise et la crainte d'êtres horriblement odieux : le Nœud Vrai. Pour protéger la petite Abra, Dan est prêt à tout ; quitte même à renouer avec ses propres démons.

    « Hé, vous avez une idée de ce qu'est devenu le gosse de Shining ? »

    C'est grâce à cette question posée à King en 1998 - soit plus d'une vingtaine d'années après la parution de Shining, rien que ça - que Docteur Sleep a vu le jour. Et vous pensez bien que oui, King en avait une, d'idée. Une sacrément bonne même, mais qu'il mit cependant une autre vingtaine d'années à mûrir, peaufiner puis finalement coucher sur papier. Et ces vingt ans d'incubation là, laissez-moi vous dire que Docteur Sleep les vaut largement.

    Comme pour répondre directement à cette question, King dévoile dès le début de Docteur Sleep un Dan aux antipodes du petit Danny de Shining tout en innocence et coupe au bol enfantine. Dan a à présent la trentaine et la vie dans tout ce qu'elle a du plus rude lui est passée dessus. Il est ravagé, alcoolique et bien plus près de suivre les traces de son père qu'il ne l'aurait jamais imaginé. Ses nuits ne sont que gouffres sans fond et ses journées cauchemars et regrets, mais sous les brumes de l'alcool Dan parvient à étouffer ce Don avec lequel il ne parvient plus à vivre. Ainsi se saoule-t-il un peu plus chaque soir, ainsi sombre-t-il un peu plus chaque nuit. Et que ça fait mal d'être témoin de ça. Que c'est difficile. La crainte de voir l'histoire se répéter nous bouffe, on fond littéralement de tristesse et d'impuissance face à cet enfant qu'on a connu, quand soudain Stephen King sort le tranchoir pour tailler dans le gras et retourner l'histoire comme un gant.


    Dan n'est pas son père et empoigne fermement la main secourable qui lui est tendue ; il s'y cramponne et se hisse hors du trou au rythme de notre cœur qui danse la lambada. La fierté qu'on éprouve est totale et l'envie de poursuivre avec le gros morceau du roman, pas même encore entamé, irrésistible.

    Fidèle à lui même, King ne lésine pas sur le développement et exploite chacun de ses protagonistes à fond. Les petites histoires ordinaires des seconds rôles rejoignent à merveille celles plus riches des principaux, et les relations telles que les décrit King dans Docteur Sleep sont d'une justesse terriblement touchante. Le naturel avec lequel les uns supportent les autres est stupéfiant, bien que l'amitié intemporelle et immatérielle que partage Dan avec la petite Abra surpasse toutes les autres. Même du côté du Nœud Vrai - pourtant pas une bande de joyeux compères - on sent le relationnel travaillé avec soin. Le groupe est soudé et malgré la malfaisance de ses membres, King n'en fait pas des personnes dénuées de tout sentiment. Le Nœud Vrai n'est pas simplement « mauvais » ; il est capable du meilleur envers ses propres partisans comme du pire envers le reste du monde, et cette légère dualité m'a plu.

    Mais en digne successeur de Shining, Docteur Sleep c'est aussi une atmosphère à part entière qui n'a rien à envier à son prédécesseur et s'en affranchit d'ailleurs avec beaucoup de personnalité. Là où l'on s'attend peut-être à du déjà-vu malhabile, on récolte finalement un récit qui se suffit presque à lui-même et s'affirme dans son propre style. Shining offrait un huis clos à l'atmosphère bétonnée montant crescendo, mais dans Docteur Sleep c'est un jeu du chat et de la souris grandeur nature que propose King, l'horreur et le fantastique en plus. Les vampires prennent un coup de neuf et de génie dans ce récit passionnant, et plutôt que de les faire courir après l'hémoglobine c'est de « bonne grosse vap' » que les rend friands le roi de l'horreur. C'est maîtrisé, bourré d'originalité, ça surprend autant ça convainc et c'est pour moi un énorme oui. 


    Des vampires camping-caristes aux noms de vieux pirates, franchement, ça ne se refuse pas, si ?

    Ecrire « la suite de » n'est jamais facile et on peut aisément deviner les appréhensions de l'auteur à l'heure de sortir cette suite ... qui en est peut-être moins une que ce qu'il y paraît. Avoir lu Shining est nécessaire au complet régal de Docteur Sleep, mais pas cent-pour-cent indispensable. Pour ceux toutefois déterminés à s'enfiler le menu gourmet « Danny Torrance » en deux services, retrouver l'Overlook et ses démons est un plaisir immense dont je suis personnellement ravie de ne pas m'être privée. Si Shining vous a convaincu, que les mythes vampiriques classiques vous assomment et que vous recherchez une lecture horrifique et touchante, lancez-vous les yeux fermés. 



    Note : 18/20

    Date :  18 mars 2019 - 23 mars 2019

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