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  • 19 avr. 2020

    22/11/63 de Stephen King - Désaxer le passé, bonne ou mauvaise idée ?

    Auteur : Stephen King
    Editeur : J'ai lu
    Genre : Science fiction, uchronie
    Pages : 1035 (format poche)

    Résumé : Jake Epping est un enseignant d'anglais à Lisbon Falls, dans le Maine, qui se fait un revenu complémentaire en enseignant aux adultes dans le programme GED. Il reçoit un essai de l'un des étudiants : une histoire macabre, déchirante, au sujet d'une nuit il y a 50 ans quand le père d'Harry Dunning est arrivé à la maison, a tué sa mère, sa soeur et son frère avec un marteau. Harry s'en est sortit avec une jambe mal en point, comme le prouve sa démarche actuelle. Un peu plus tard, Al, l'ami de Jake, lui raconte un secret : sa boutique est un portail vers 1958. Il enrole Jake dans une folle mission afin d'empêcher le meurtre de John Kennedy. Ainsi sa nouvelle vie en tant que Jakes George Amberson, son nouveau monde d'Elvis et JFK, un monde de grosses voitures américaines, d'un solitaire en difficulté nommé Lee Harvey Oswald et d'une bibliothécaire prénommée Sadie Dunhill, qui devient l'amour de Jake et qui transgresse les règles normales du temps.


    Chronique : Le confinement continue, l'élagage de la PAL aussi et dernièrement je n'y suis pas allée de main morte puisque que c'est un gros pavé qui y est enfin passé : 22/11/63 de Stephen King. Voilà un bail que je reporte cette lecture sans trop savoir pourquoi, et finalement cette pandémie aura au moins eu le bon goût de me faire creuser dans les tréfonds de mes cartons pour en dénicher cette grosse pépite - sur un malentendu ç'a été une très, très bonne pioche ! Sur fond de lindy-hop et de véritables tartelettes maison King propose ici de réécrire l'histoire pour le meilleur, et rien que pour chausser les pompes des Américains en ce temps-là et vivre l'expérience rétro avant l'heure, ça vaut largement le coup. Et ne l'oublions pas, en prime il y a le package « soyons gentils, sauvons Kennedy » que mille page de plaisir enveloppent comme un cocon : reste plus qu'à s'y lover tranquillement et à plonger à la suite de Jake Epping de 2011 à 1958 - prem's !

    2011. Jake Epping est professeur d'anglais au lycée de Lisbon Falls et fraîchement divorcé. De la vie il n'attend plus grand chose si ce n'est ses copieux repas chez son ami de longue date Al, propriétaire d'un fast-food peu cher. Mais du jour au lendemain, Al tombe grièvement malade et le diagnostic tombe sans surprise : cancer. Se sachant condamné, il révèle à Jake l'oeuvre de sa vie : l'existence d'un portail temporel au fond de sa guinguette lui permettant de remonter en 1958, soit largement à temps pour éviter à Kennedy d'être assassiné à Dallas en 1963. Peu convaincu mais déterminé à laisser une chance à son ami mourant, Jake saute le pas et se redécouvre enfin dans le passé. Cinq années le séparent de l'attentat meurtrier du président des Etats-Unis : suffisamment de temps pour se livrer à quelques expériences et témoigner de la volonté du passé à ne pas être changé ; mais aussi cinq années à consacrer à l'amour ... et à Lee Harvey Oswald.

    Kennedy, Lee Harvey Oswald : voilà les deux noms magiques pour attirer en masse les théoriciens en herbe y allant chacun de leur supposition sur l'attentat de Dallas - et tout ça sans même mentionner la mafia, vous avez vu ? Du coup, laissez-moi casser l'ambiance tout de suite : si vous cherchez dans 22/11/63 un thriller faisant le tour du pourquoi du comment de l'assassinat de JFK en passant par la CIA ou la Russie, pensez à un autre livre de chevet. Dans le cadre de son roman Stephen King part du principe que l'explication la plus simple est la bonne et l'assume pendant mille pages : Lee Harvey Oswald est le tireur, point barre. Ça n'empêche évidemment pas au livre d'être sévèrement documenté sur le personnage et son entourage proche (on parle du King donc forcément, c'est ficelé nickel), ainsi même en prenant le parti d'un Oswald tireur solitaire, on a tout de même droit à une intrigue minutieuse bourrée de données. Pour le thriller complotiste façon « I comme Icare »  ce sera donc sans Stephen King, mais le roman n'en est pour autant pas moins à la hauteur.

    D'abord parce qu'une virée dans l'Amérique rétro du plein d'essence à deux dollars, ça ne se rate pas. Il fait beau, il fait chaud, les aliments ont du goût, on consomme sans se poser de questions et on vit une existence simple en famille. On a beau se dire qu'une soixantaine d'années seulement a passé depuis, beaucoup de choses ont évolué et en tant qu'homme du XXIe siècle Jake Epping porte sur les glorious sixties un regard qui n'est pas celui de monsieur-madame Toulmonde. Le professeur d'anglais en lui est chamboulé de se retrouver face à une jeunesse qui n'a pas encore été pourrie par la technologie et les parents, l'homme droit dans ses bottes s'insurge face aux mentalités étriquées et au racisme qui sévissent pépères, et enfin l'outsider venu empêcher l'inimaginable se heurte aux existences difficiles des oubliés de la société américaine d'alors - et dans le tas se trouve la petite famille Oswald. 22/11/63 est un roman aux deux visages : d'un côté la vie simple que Jake croque à pleine dents en l'attente du jour J (et qu'on partage avec une pointe de jalousie) et de l'autre les notes, les filatures, les dispositifs d'écoute planqués. Sur près de mille pages le quotidien bien rangé de Jake prend davantage de place que l'intrigue Kennedy et j'ai complètement adhéré à ce déséquilibre truffé de scènes typiques années 60'. On rejoint donc ce que je disais plus haut : si vous cherchez un thriller et rien qu'un thriller, vous n'avez rien à faire ici.

    Ensuite parce qu'on retrouve ce qui me plait le plus chez Stephen King : les petites villes et l'ambiance qui va avec. Là où tout le monde se connait, où on te lorgne de travers si tu t'attardes un peu trop alors que t'es pas du coin. Là où si t'as pas de bonnes raisons, vaut mieux pas que tu végètes sous peine d'avoir trois-quatre gars qui te tombent dessus. Mais on trouve aussi le contraire dans 22/11/63 : les bourgades accueillantes où chacun se serre les coudes et attend que tu poses tes valises, parce que ça fait un copain en plus. Durant son périple Jake va tomber sur les deux, et notamment sur une petite surprise du nom de Derry après qu'un certain clown y a semé la pagaille. En plus d'une référence bien placée à Ça j'ai aussi cru voir quelques mots glissés pour Shining mais je m'étale pas plus, je vous laisse savourer vous-même ces passages qui montrent tout l'attachement de King pour ses bonhommes de papier. Voir resurgir les précédents romans en pleine lecture lie joliment ses écrits les uns aux autres et donne une touche de réel à tout ça - les fans de l'auteur apprécieront, je vous le garantis ! 

    Mais un bon voyage temporel, c'est avant tout une bonne gestion du continuum space-temps (merci à Emmett Brown pour m'avoir brillamment instruite). Si dans Retour vers le futur on se balance un peu de l'effet papillon et que Jake, en bon public de la trilogie, pense qu'il va sauver le président Kennedy les doigts dans le nez, il se trompe. Premièrement parce que le passé aime pas être changé et vous fait tomber dessus toutes les misères du monde si vous essayez. Dans l'adaptation du roman au petit écran les producteurs s'en donnent d'ailleurs à cœur joie (peut-être même un peu trop), mais au moins comprend-on rapidement qu'il faudra la jouer fine pour désaxer le cours des choses. Deuxièmement parce que jouer avec le passé c'est un peu comme déminer à l'aveuglette : on sait jamais vraiment ce qu'on va faire sauter, ni où ça va sauter. A ce titre 22/11/63 est un roman doux-amer où (heureusement) on finit par questionner les paris osés et les motivations parfois terriblement personnelles qui se cachent derrière. Que de choix difficiles à prendre en mille pages, on en a mal au cœur pour Jake alors que ça va crescendo jusqu'à la chute qui atteint des sommets. Y a pas photo, Stephen King sait clore ses histoires et faire pleurer bibi.

    Autant dire que ce long périple soixante ans en arrière, je ne l'ai pas vu passer. Le roman est épais mais chaque page en vaut la peine malgré un moment un peu creux vers les deux tiers où on plonge trop brusquement à mon goût dans la galère quotidienne des Oswald. Jake Epping sait toutefois donner le rythme et varier le tempo quand c'est nécessaire : avec la belle Saddie, le jeune Mike et son vieux pote Deke pour compagnons, il y a de la douceur et de grands moments d'amitié ; avec la population de Dallas, il y a la haine de l'autre et le mépris. Pour témoigner de tout ça Stephen King a taillé Jake sur mesure : c'est un bon bougre qui prend méchamment du gallon au fil des pages, dont l'évolution bad-ass est très crédible et le suivi hyper agréable. On ne lui souhaite que le meilleur tout en se doutant bien qu'à trifouiller dans le passé rien de vraiment bon n'en ressortira (les happy-ends, c'est pas franchement le genre de la maison King), et surtout quand la fin prend un tournant froidement science-fictionnel. On a beau avoir les attentions les plus touchantes au monde (et ce ne sont pas les histoires déchirantes qui manquent par ici), ça n'empêche pas l'univers de ne pas apprécier qu'on le tripote.

    Le conclusion de tout ça c'est que 22/11/63 est un très, très chouette bouquin avec une touche rétro délicieuse. Il passe comme une lettre à la poste malgré quelques chapitres un peu lourds où chacun s'épie nerveusement, mais ça ne doit pas vous rebuter - le reste assure. Prenez plutôt exemple sur Jake Epping et sautez dans le trou de lapin direction 1958, il y a beaucoup à (re)découvrir et quelques lignes d'Histoire à bidouiller.


    Note : 18/20

    Date : 30 mars 2020 - 05 avril 2020

    4 commentaires:

    1. Bien que les hypothèses de complot ne soient pas ma tasse de thé, j'ai passé un très bon moment avec ce livre. Tout comme toi, je trouve que l'ambiance a été bien travaillée et sans aucun doute, rentrer dans la vie de Jake y a largement contribué. Et puis le voyage temporel ! C'est une thématique que j'apprécie et je trouve que Stephen King s'en sort vraiment bien.

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      1. J'ai lu quelques avis déçus sur la thématique temporelle et la classification de ce livre en SF. Un peu comme toi, je les partage pas : ça prend du temps parce qu'il y a un très gros paquet de pages axées "vie dans les années 60", mais finalement on se retrouve à fond dans une problématique purement SF avec le voyage temporel super bien exploité ^-^ ... faut juste être un peu patient et entre-temps savourer le retour dans le passé !

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    2. J'avais bien aimé aussi même si j'avais trouvé quelques longueurs

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      1. C'est sûr qu'aux deux tiers, j'en avais un peu ma claque de le voir courir après Oswald. De ce côté là, ça bougeait pas beaucoup. Franchement c'est dommage, sans ça je pense que ça aurait été coup de cœur !

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