Noces d'écailles d'Anthelme Hauchecorne et Loïc Canavaggia - Amours bifides en forêt bourguignonne

Auteur : Anthelme Hauchecorne

Illustrateur : Loïc Canavaggia

Éditeur : Chat Noir

Genre : Conte et légendes, fantasy, roman graphique

Pages : 96 pages (format album)

Lu dans le cadre du « Pumpkin Autumn Challenge »

Résumé : Octobre 1345, Comté de Bourgogne. Fuyant la colère du baron, Aymeric Jodelet, peintre et coureur de jupons, doit s'exiler de son village. L'artiste trouve refuge dans la forêt voisine, au mépris des superstitions. Selon les paysans, un monstre y rôderait : la Vouivre, dont les griffes déchireraient les intrus. Une fable, rien de plus ? À l'automne, les sentiers sylvestres mènent n'importe où. Parfois jusqu'à l'inconnu.

Ma chronique : Quand j'ai entendu parler pour la première fois de Noces d'écailles il était trop tard pour participer au projet participatif de son lancement, et franchement je me suis mordue les doigts de pas avoir pu apporter ma pierre à si bel édifice - fût-il plein de dents, écailleux et poisseux au possible ! C'est qu'un livre pareil mérite qu'on le fasse connaître au delà des limites de la Bourgogne où l'action prend place et quand bien même c'est trop tard pour Ulule, je me dis qu'une chronique bien convaincante fera du bon office pour autant que je m'y prenne pas trop mal - challenge accepted ! Souhaitez-moi bonne chance, je m'apprête à vous remettre ma rencontre avec la Vouivre ; j'y ai survécu de justesse et c'est bien pour vos beaux yeux que j'affronte le monstre une seconde fois ! ~ enfin « monstre », c'est vite dit ...

Aymeric Jodelet manie aussi bien le pinceau que la chope dont il s'enivre tous les soirs. Sa langue en revanche, c'est une autre histoire : le bougre a bien du mal à la tenir et lorsqu'au détour d'une soirée trop arrosée il s'attaque au baron de Beaumont, nul autre choix que de se faire oublier aussi longtemps que possible afin d'échapper au cachot. Contraint et forcé Aymeric brave alors l'interdit et s'enfonce dans la Sylve Serpentine, la forêt voisine objet de bien des légendes. Commence alors une retraite et un sevrage difficiles pour le jeune homme, ponctués de toiles et de croquis qui de jours en jours se font plus fantastiques et reptiliens. Vient alors sa rencontre avec la belle Gwybère, une pauvrette simple d'esprit recluse en l'ancien château de Ronsard. Demeuré seul trop longtemps, Aymeric cède et rejoint son inconnue dans la bâtisse en ruines. La Vouivre y a sévi des décennies plus tôt et à mesure que l'étrange s'invite dans leur retraite, Aymeric se souvient des légendes - entre peur et fascination.

Anthelme Hauchecorne fait partie de ces auteurs dont j'entends parler depuis si longtemps que j'avais déjà l'impression d'avoir fait le tour du personnage sans rien en lire. Grosse erreur, terrible erreur de lectrice blasée puisque des idées et du talent, l'auteur en a à revendre et il y a là de quoi être impressionné sévère. Question ambiance « contes et légendes » on est effectivement face un maître en la matière : l'atmosphère de Noces d'écailles envoie des paillettes malgré qu'il soit question de dragons voulant vous bouffer un bras dès qu'ils vous voient. Un peu à l'image de Brocéliande on retrouve la forêt objet de tous les possibles, les rêves et les cauchemars qui vont avec et la magie qui imprègne les lieux comme il se doit - insaisissable, nébuleuse et pas des plus amicales envers les Hommes. La Sylve Serpentine est dense, mortellement enchanteresse et on crève de percer ses secrets en la compagnie d'Aymeric, peintre raté en quête de quelque sens caché à sa petite vie minable. A mesure que les saisons passent on sent les légendes prendre consistance sous l'humus de la Sylve, on est témoin de l'éveil de la forêt et de sa maîtresse la Vouivre avec elle. Contempler pareil spectacle c'est la fascination garantie ; l'album révèle tout son potentiel à la lueur d'une bougie, la pluie battant à la fenêtre et un thé fumant à vos côtés ~ bref avec l'attirail du lecteur de l'extrême, vous êtes sûrs de passer un moment tout doux !

Noces d'écailles c'est donc une ressourcerie douillette malgré les dangers et les bizarreries auxquels Aymeric semble porter si peu d'importance, tout consacré qu'il est à sa tâche d'artiste. Sous ses pinceaux Gwybère passe d'objet de pitié à modèle ensorcelant, on découvre la jeune femme une toile après l'autre alors que la pauvrette cède la place à la muse dans l'étrangeté la plus totale. Portraits et croquis de la belle ne manquent pas, Loïc Canavaggia y a veillé quand ce n'est pas de créatures reptiliennes qu'il nous régale. Où s'achève l'humain, où débute le saurien ; on ne le sait jamais vraiment et quel délicieux moment on passe à confondre l'un et l'autre en pleine forêt bourguignonne ! Dans les journaux d'Aymeric la bête n'en est pas seulement une, Anthelme Hauchecorne et Loïc Canavaggia lui prêtent des intentions et des émotions humaines fortes - un traitement magistral pour une Vouivre de légendes. La démarche vaut bien un petit détour par la Bourgogne !

Des journaux les plus intimes aux missives ducales les plus anciennes, Noces d'écailles dresse justement le portrait d'une Bourgogne d'un autre temps : ça passe par le texte et les illustrations, par la mise en page variée et le format fabuleusement choisi - du hardback, de la couleur et plein de contenu : on aime ! Il vaut son prix - trente-cinq euros, on s'avouera que c'est pas donné - mais pour qu'une pièce pareille trône sur mes étagères, je suis pas fâchée d'avoir payé le prix. Un court récit de légendes, de tromperie et de pitié entre révulsion et fascination ~ le genre de cadeaux qu'on serait ravis d'avoir sous le sapin, je dis ça, je dis rien ! Allez, on écoute la bonne Choupaille et on fonce.

Note :  18/20

Date :   09 octobre 2019 - 10 octobre 2019