Auteur : Thibaud Latil-Nicolas
Éditeur : Mnémos
Genre : Fantasy
Pages : 311 (grand format)
Le résumé : Au nord du Bleu–Royaume, la frontière est marquée par une brume noire et impénétrable, haute comme une montagne. De mémoire d’homme, il en a toujours été ainsi. Mais depuis quelques lunes, le brouillard semble se déchirer. Tandis que ce voile enfle et reflue tel un ressac malsain, de violents éclairs strient ses flancs dans de gigantesques spasmes. La nuée enfante alors des créatures immondes qui ravagent les campagnes et menacent d’engloutir le royaume tout entier. La neuvième compagnie des légions du roy, une troupe de lansquenets aguerris au caractère bien trempé, aspire à un repos bien mérité après une campagne éprouvante. Pourtant, dernier recours d’un pouvoir aux abois, ordre lui est donné de s’opposer à ce fléau. Épaulée par des cavalières émérites et un mystérieux mage chargé d’étudier le phénomène, la troupe s’enfonce dans les terres du nord, vers cette étrange brume revenue à la vie. Tous, de l’intendant au commandant, pressentent qu’ils se mettent en route pour leur dernier périple. Tous savent que du résultat de leurs actions dépendra le destin du royaume. Entre courage et résignation, camaraderie et terreur, ces femmes et ces hommes abandonnés par le sort, devront consentir à bien des sacrifices face à la terrible menace. En seront-ils capables ? Les légendes naissent du sang versé, de la cendre et de la boue.
Ma chronique : A moins d’avoir vécu ces derniers mois sur une autre planète, Chevauche-Brumes de Thibaud Latil-Nicolas, vous en avez forcément entendu parler. Pas possible autrement. Depuis sa sortie cette Pépite de l’Imaginaire signée du sceau des éditions Mnémos soulève éloges et enthousiasme à la pelle, et en bonne suiveuse que je suis - je peux pas toujours sucer mes envies lectures de mon pouce, hé non - j’ai moi aussi tenté la formule “Cavalcades, baston et brouillard”. Et laissez-moi vous dire que c’était méchamment bon. C’avait un goût de poudre, de magie et de gluant et j’espère remettre un jour pareille fringale.
Au nord du Bleu-Royaume se dresse un mur de brume d’où émergent régulièrement des bêtes de cauchemar. Nul ne sait quelle puissance s’y terre, nul n’ose s’en approcher, et pourtant cela n’empêche pas les habitants des villages alentours de vivre avec, peu soucieux de cette menace qui, de mémoire d’homme, n’a jamais causé davantage que quelques tracas. Mais la donne change du jour au lendemain lorsque la brume se met à avancer et à enfanter des créatures hors normes. Tout juste revenue d’une éprouvante campagne en Libunce, c’est la Neuvième compagnie du Bleu-Royaume que le jeune Dauphin Théobalt envoie à ce front infernal. La troupe de vétérans peut toutefois compter sur l’appui de cavalières Longemarriennes pour mener sa mission à bien, ainsi que sur les pouvoirs de deux mages intercesseurs. Il ne leur en faudra pas moins pour percer les secrets de la brume et mener la charge tambour battant dans la crasse, la camaraderie et le sang.
Je ne savais pas qui était Thibaud Latil-Nicolas jusqu’à ce que j’entende parler de Chevauche-Brumes - c’est d’ailleurs un peu l’idée des Pépites de l’Imaginaire, révéler des nouveaux talents, tout ça tout ça - mais maintenant que je connais le gaillard, croyez-moi bien quand vous dis que je ne vais plus le lâcher. Parce que ça envoie, Chevauche-brumes ; c’est diablement bon et j’en veux plus. Tout commence avec une description de la Libunce digne du Plat pays de Jacques Brel pour s’achever sur une note aigre-douce qui envoie des émotions plein la face, le tout avec panache et caractère. Petite larmichette à prévoir en fin de récit et, dans l'intervalle, un franc moment de camaraderie à la dure qui n'est pas sans rappeler le meilleur des Annales de la Compagnie noire de Glen Cook - les haquebutes et les monstres en plus.
C'est pas rien de comparer la Neuvième du Bleu-Royaume à la Compagnie noire de Khatovar, mais ça me vient du fond du cœur. On y retrouve le même mélange d'héroïsme et de noirceur, la même humanité bourrée d'imperfectibilités et de "moi d'abord". Sous la façade des troupiers qui cultivent leur image de grands désintéressés se terre des frères d'armes à la morale peut-être moins douteuse qu'il n'y paraît et au cœur aussi grand que l'est leur gueule. Le roman est riche des répliques épiques que se jettent à la trogne les membres de la Neuvième, mais aussi des moments fraternels partagés dans l'adversité. Inimité, préjugés et à-priori sont de la partie et ne rendent que plus éclatants et réalistes les instants où le mérite et l'héroïsme émergent. Mages et clergé, cavalières et troupiers, tout ce beau monde se prend le chou pour mieux s'estimer par la suite et c'est un régal à la lecture.
Les membres de la Neuvième ne sont pas des enfants de chœur, c'est tant mieux compte tenu de ce qui les attend mais ça ne les empêche pas de faire preuve d'un sens tout relatif de la fraternité et de la morale. Un poil de Dark Fantasy qui est tombé à point !
Mais ce qui fait aussi la réussite de Chevauche-Brumes, c'est son univers. Le ton est donné dès qu'on pénètre en Libunce avec une description digne d'un texte de Brel qui m'a fait beaucoup d'effet - tellement que c'est déjà la deuxième fois que je le dis, oui je sais. Seulement cet effet-là ne s'arrête pas au premier chapitre : il dure trois cent pages de pur plaisir littéraire et vous englue dans un monde de monstruosités malades aux humeurs visqueuses. Le Bleu-Royaume est sombre à souhaits et a tout d'une France fantaisiste en pleine renaissance, Dauphin, poudre et chapeaux à larges bords inclus. Le récit est court mais le worldbuilding d'envergure ; bref, il y a largement matière à caser davantage qu'un roman dans le Bleu-Royaume. C'en est même frustrant de ne pas voir Thibaud Latil-Nicolas mener la charge de la Neuvième plus loin encore, avec moult sous-intrigues à développer au passage. Mon seul petit regret.
« Dans ce pays le ciel est bas. Semblable à une plaque de marbre il vous écrase, vous maintient l'esprit au ras du sol. Il n'y a pas d'autre perspective que ce désert herbeux et sale où il pleut constamment tandis que l'air glacé charrie ses bourrasques de crachin. La végétation est plus triste qu'une journée sans pain : du gris, du vert sombre, du brun, et ce putain de vent qui ne s'arrête jamais. »
Est-ce que je vous recommande Chevauche-Brumes ? Oui, foncez. On n'aura jamais vu conclusion si brève mais finalement voilà qui résume à merveille cette lecture franche et réaliste, bourrée d'anti-héros à la fois valeureux et détestables. Si suite il y a, je me l'enverrai avec plaisir pour peu que j'y retrouve cette délicieuse noirceur et ce caractère littéraire bien trempé !
Note : 17/20
Date : 14 avril 2019 - 17 avril 2019
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