15 oct. 2020

Circé de Madeline Miller - La femme derrière le mythe

 

Auteur : Madeline Miller
Editeur : Pocket
Genre : Contes, mythes et légendes, Fantasy
Pages : 549 pages (format poche)

Résumé : Helios, dieu du soleil, a une fille : Circé. Elle ne possède ni les pouvoirs exceptionnels de son père, ni le charme envoûtant de sa mère mais elle se découvre pourtant un don : la sorcellerie, les poisons et la capacité à transformer ses ennemis en créatures monstrueuses. Peu à peu, même les dieux la redoutent. Son père lui ordonne de s'exiler sur une île déserte sur laquelle elle développe des rites occultes et croisent tous les personnages importants de la mythologie : le minotaure, Icare, Medée et Ulysse.... Mais cette existence de femme indépendante et dangereuse inquiète les dieux et effraie les hommes. Pour sauver ce qu'elle a de plus cher à ses yeux, Circé doit choisir entre ces deux mondes : les dieux dont elle descend, les mortels qu'elle a appris à aimer.

Chronique : Pour qui se tient un tout petit peu informé des sorties littéraires fantastiques et des livres chouchous de la blogo, Circé, c'est difficile d'être passé à côté. Le titre a beaucoup fait parler de lui sur les réseaux (en tout cas ceux auxquels je suis abonnée, hein) et encore davantage que son prédécesseur Le chant d'Achille. Aujourd'hui, c'est jour de fête : j'ajoute avec enthousiasme ce dernier titre à ma wish-list, et Circé à mon top dix des livres lus cette année - après les quelques flops des semaines passées, ça fait du bien ! C'était pourtant pas gagné avec toute cette notoriété. Vu le battage blogo-médiatique qu'il y a eu autour de cette réécriture du mythe, j'avais des attentes vachement élevées, et surprise ! j'ai pas été déçue. Circé, c'est en définitive un roman à l'image de sa protagoniste : il envoie du lourd et se dissimule dans un écrin de velours. Moi ça me va, d'abord parce que vu ma dernière lecture, les gros sabots, j'en avais ma claque ; et ensuite parce qu'un peu de sensibilité, ça fait jamais de mal à personne - ça a juste changé deux-trois marins en cochons, mais ça c'est un détail.

Lorsque le Titan Hélios et la nymphe Persé s'unissent pour la première fois, Circé est engendrée. A l'inverse de son entourage qui exsude la divinité de toutes parts, sa banalité est source de moqueries. Elle n'irradie pas comme son père, n'a ni la grâce ni l'esprit calculateur de sa mère et adopte rapidement au sein de sa fratrie grandissante le rôle de souffre-douleur. Moquée des siens, elle développe une fascination secrète pour les mortels et tombe sous le charme de l'un d'eux. Son amour la pousse à découvrir un pouvoir insoupçonné qui couve en elle depuis des décennies, et pour lequel le grand Zeus l'exile. Seule sur son île Circé apprend génération après génération à apprivoiser son don et à partager la vie des mortels qui s'échouent sur la plage, et s'arrache peu à peu la place qui lui revient dans les mythes des Hommes. Celle de la sorcière d'Eéa, crainte des mortels et même des dieux.

Crainte de tous, promis c'est à peine exagéré : si on s'en réfère aux écrits mythologiques qui ont tracé leur chemin jusqu'ici, Circé c'était pas une tendre - même si vu la tronche des récits d'alors, personne l'était vraiment, on est d'accord. Toujours est-il qu'on a l'habitude de la voir dans le mauvais rôle, et le roman est super intéressant parce que Madeline Miller fonce à l'opposé. A travers plusieurs mythes bien connus du grand public (Charybde et Scylla, le Minotaure et la quête de la toison d'or par Jason, entre autres), elle met en lumière une Circé sensible qui s'en prend plein la gueule, qui tend la main et à qui on arrache le bras, qui regrette et qui doute. Les générations défilent, Circé apprend à maîtriser la magie des plantes qui lui a valu un exil forcé, et le personnage se déploie. Il y a la déesse, la sorcière et la femme, et j'ai suivi les trois avec beaucoup de plaisir. Elle achève finalement sa course là où on s'y attendait évidemment passé la moitié du roman, mais sans que ça rende la chose moins belle - non, pas au lit avec Ulysse (ça c'est un détail de parcours, comme la plupart des hommes qui se succèdent dans cette histoire taillée pour des personnages féminins), mais en une compagnie plus sympathique à propos de laquelle je ne vais rien vous révéler de plus - pas de spoil ici ! La touche finale est romantique façon tout-est-bien-qui-finit-bien, c'est effectivement sympa parce que ça fait chaud au cœur, mais j'ai trouvé que ça jurait avec l'idée globale du roman selon laquelle tu peux pas compter sur meilleur alliée que toi-même... surtout quand t'es une femme à l'Antiquité.

Alors du coup, Circé, oeuvre féministe ? Oui et non. Si vous suivez le blog, vous savez que les analyses, même rien qu'un peu poussées, c'est pas ma came. Je lis un texte, je creuse pas forcément toujours loin sous les évidences qui sautent aux yeux et rester à la surface, moi ça ma va très bien. Circé, c'est justement un roman qui a fait couler beaucoup d'encre à force d'avoir été creusé et retourné. Certains ont vu une oeuvre féministe très engagée à la gloire d'une femme qui n'attend pas qu'un prince charmant vienne la libérer de son exil. Okay. Sur le sujet je me contenterai, moi, de simplement regretter qu'on veuille souvent donner du sens à tout prix à un texte, en y voyant parfois juste ce qu'on souhaite y voir. Gratter et décomposer le roman, ça m'aurait gâché le plaisir de la simple réinterprétation du mythe et de son héroïne jusqu'alors toujours dépeinte sous des jours peu flatteurs - et qui, faut-il le souligner, trouve chaussure à son pied en fin de roman avec un passage par la case maternité ... mais j'en dirai pas plus. Circé, féministe parce qu'il est question d'une nana qui vit sa vie pépère sur une île (même si l'exil, c'est pas cool et que ça finit par lui peser) ? Moi ça me paraît trop léger pour me prononcer, et de toute façon comme je vous l'ai dit, cette tendance à tout décortiquer, c'est pas mon truc. J'accroche donc pas forcément à l'analyse globale qu'on voit passer. Rien qu'en restant à une lecture de surface, le bouquin fait son job et il le fait très, très bien dans le plus pur style grec.

Attention attention, notez toutefois qu'à l'époque (quelques millénaires avant J.-C., quand même), s'assumer en tant que femme seule demande des épaules vachement solides, c'est un fait. On ressent à fond les mœurs de cette période de l'Histoire auxquels même les rejetons des dieux et déesses n'échappent pas : un femme, ça ne se respecte que s'il y a un protecteur dans son giron - sinon c'est condescendance et "buffet gratuit". J'ai d'ailleurs adoré la restitution de la chose à l'écrit par Circé, avec ce qu'il faut de recul et de questionnements bien placés. On ne s'insurge jamais vraiment avec les personnages féminins du récit (Médée, Pénélope et Pasiphaé pour ne citer qu'elles), mais il y a bien quelques petits moments où on a un peu la rage quand même. Pour ce qui est de Circé, ce n'est qu'au gré d'épreuves pas très sympas qu'on la voit devenir la sorcière du mythe qu'on connait tous... mais en vachement plus nuancée et c'est justement ça qui rend le bouquin si passionnant. Dans la mythologie Circé c'est une presque divinité, mais Madeline Miller y ajoute une dimension très humaine. Plus qu'une réécriture très convaincante du mythe de la sorcière d'Eéa, Circé c'est un roman d'une grande sensibilité sur les conditions divines et humaines. Et que l'emploi du mot « sensibilité » ne vous y trompe pas : son héroïne avec un penchant pour la confection d'étoffes, les tisanes maison et la métamorphose humaine, vaut mieux pas la chercher. 

J'ajoute pour clôturer la chronique que la mythologie fascine beaucoup le public et que Madeline Miller surfe sur la vague avec brio. Circé est un roman que j'ai adoré lire, vraiment, et qui m'a donné quelques petites piqûres de rappel concernant les mythes dont on m'a abreuvée quand j'étais gamine. Pour moi il rejoint la lignée de La Voie des Oracles et du Cycle de Mithra, deux autres lectures que je vous conseille si la Fantasy et l'Antiquité vous branchent autant l'une que l'autre.

Ma note : 18/20

8 commentaires:

  1. Ça sera l'une de mes prochaines lectures, depuis le temps que je veux lire ce livre ! J'adore la mythologie grecque, je devrais donc être servie. Comme toi, je ne vais pas forcément décortiquer le texte pour y voir des symboles ou idéologies et je ne m'en porterai pas plus mal.

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    1. Comme je l'ai dit sur FB, ce qui est extra avec ce roman c'est qu'on pourrait penser s'ennuyer en ayant "juste" affaire à Circé pendant cinq cents pages ... mais non ! Madeline Miller fait graviter BEAUCOUP de figures emblématiques de la mythologie autour d'elle, et c'est bourré de rythme sans pour autant être précipité - à la narration, Circé prend justement son temps.
      Si tu t'y mets j'espère que l'expérience sera réussie ^-^ !

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  2. J'aime beaucoup ta chronique qui pointe notamment cette tendance au décorticage que j'ai et qui, il est vrai, tend parfois à faire dire à un texte ce qu'on a envie d'y voir. Pas une mauvaise chose en soi, ni une bonne d'ailleurs, mais parfois, se recentrer sur le texte pur permet de simplement se laisser transporter. Ici, dans la vie d'une femme qui a l'air d'avoir réussi à se construire dans l'adversité et malgré les coups durs. Le genre de femmes que l'on a envie de rencontrer plus souvent en littérature...

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    1. Exactement ! As-tu eu l'occasion de lire le roman ? Si pas, comme tu l'auras remarqué, je te le conseille vraiment (quelle que soit la lecture que tu comptes en faire ^-^) !

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  3. Je suis méga curieuse, j'aime bien les mythes et les légendes et ce roman me tente de plus en plus ^^ Merci pour ton retour, c'est vrai qu'à forcer de décortiquer au millimètre près, ça devient parfois anxiogène, ça me rappelle trop les commentaires de textes quand j'étais au lycée =)

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    1. Je crois que je suis comme toi : trop de mauvais souvenirs d'analyses de textes où on creuse, on creuse, on creuse ... ^-^'
      J'espère t'avoir convaincue pour une peut-être prochaine lecture, alors , hi hi !

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  4. Wooow très belle chronique ! Tu vends très bien ce livre. Je suis en train de le lire et j'en ai lu la moitié (j'en suis au passage de sa rencontre avec Ulysse). J'avais aussi un peu peur mais finalement, j'adore ! J'adore la réécriture du mythe, le personnage de Circé. Tout est sympa :D

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    1. Ah, merci :-D ! J'espère que tu auras autant apprécié cette lecture que moi, en tout cas je vais guetter ton avis ... si ça se trouve tu verras plein de choses à côté desquelles je suis passées ^-^.

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