7 sept. 2020

Wyld, la mort ou la gloire de Nicholas Eames - Saga : retour arthritique de la troupe mythique !


Auteur : Nicholas Eames
Editeur : Bragelonne
Genre : Fantasy, humour
Pages : 576 (grand format)

RésuméClay Cooper et ses hommes étaient jadis les meilleurs des meilleurs, la bande de mercenaires la plus crainte et la plus renommée de ce côté-ci des Terres du Wyld – de véritables stars adulées de leurs fans. Pourtant leurs jours de gloire sont loin. Les redoutables guerriers se sont perdus de vue. Ils ont vieilli, se sont épaissis et ont abusé de la bouteille – pas forcément dans cet ordre, d’ailleurs. Mais un jour, un ancien compagnon se présente à la porte de Clay et le supplie de l’aider à sauver sa fille, prisonnière d’une cité assiégée par une horde de monstres sanguinaires. Même si cela revient à se lancer dans une mission que seuls les plus braves et les plus inconscients seraient capables d’accepter. Le temps est venu de reformer le groupe… et de repartir en tournée.

Chronique : Alors que Clay Cooper et la joyeuse bande de Saga repartent pour une tournée de mercenariat après dix-neuf ans de végétation et d'arthrite, moi je recommence tout doucement à me refaire une santé livresque après quatre mois de disette : l'un dans l'autre, ce livre, il était destiné à me sortir de ma panne de lecture - c'était écrit jusque dans le scénario des joyeux compagnons retraités qui rempilent pour une dernière aventure ! Deux pages et on est dedans, cent et on se bidonne, trois cent et on stagne un peu ... mais à cinq cents, on est super contents et on a même quelques petits états d'âmes. C'est léger mais ça envoie du lourd (oui, c'est possible), et si comme moi vous étiez passés à côté au moment de sa sortie, j'espère bien vous convaincre de repenser vos lectures futures pour inclure la bête. Après tout, emboîter le pas aux légendes vivantes de Saga, ça ne se refuse pas et c'est bon pour le moral.

Saga est une roquebande de mercenaires légendaire dissoute dix-neuf ans auparavant. Ses cinq membres se sont retirés aux quatre coin du royaume : qui vivant en bon père de famille, en mage toqué, en pilier de bar, en roi cocufié ou en bandit statufié. Clay Cooper, dit Main Lente, fait partie des chanceux. Il file une vie monotone avec femme et enfant et rêve de l'auberge qu'il tiendra un jour prochain. Sa tranquillité est mise à mal lorsque Gabriel, l'ex-leader de Saga, débarque tout penaud sur le pas de sa porte. Rose, sa redoutable fille chérie, est prise au piège à Castia, la lointaine cité assiégée par les monstrueuses hordes du coeur de Wyld. Gabe le sait, il ne peut compter sur les renforts incertains des cours et supplie Clay de l'aider à reformer Saga pour une dernière mission suicide : sauver Rose. En grand sentimental qui ne s'assume pas, Clay accepte malgré lui et débute alors le plus improbable des come-back, celui de Saga.

« On était des géants, Clay »

Traverser des territoires ultra-hostiles, briser le siège du siècle, libérer la fille à Gabe, sauver le royaume : annoncé comme ça, pour qui a l'habitude de lire des quêtes désespérées et tout spécialement des quêtes désespérées en Fantasy, ç'a presque l'air facile. Y a pas vraiment de suspens : on sait tous qu'au bout du compte, ça va le faire après une ribambelle d'obstacles en tous genres destinés à pimenter le quotidien de nos héros. Alors non, je ne vais pas vous la faire à l'envers, c'est exactement ce à quoi on a droit avec Wyld. On sait que ça va être coton, que Nicholas Eames va nous balader en même temps que Saga d'une situation pourrie à une autre avant le dénouement miraculeusement heureux de l'histoire : parvenir contre toute attente à sauver la donzelle. Dès le début, on le sait ... et pourtant on s'en tamponne royalement - et c'est là que le roman frappe fort. Qu'on aille du point A au point B, c'est un détail : l'important c'est l'art et la manière, et les vieux compagnons de Saga ont les deux. Dix-neuf années de bouteille supplémentaires ont donné encore plus de caractère à la bande désormais grassouillette, arthritique et carrément barrée, à tel point que la direction du roman finit par importer peu. Tant que le compagnie est bonne - et elle l'est - on continue à suivre et à en redemander.

Parce que ce qui est bon avec Saga (et surtout avec Saga 2.0), c'est l'unicité mémorable de chacun de ses membres et la façon dont chacun oeuvre à donner une super ambiance au roman. On pourrait facilement plonger dans les trémolos et le dramatisme surjoués, mais tout le bouquin se déroule plutôt avec naturel, camaraderie et beaucoup d'auto-dérision. Ça crée du rythme, des moments drôles, des moments graves et sans aller jusqu'à dire qu'on passe du rire aux larmes, il y a quelques petites percées larmoyantes qui humidifient les yeux et gonflent la poitrine entre deux éclats de rire. Il y a des punchlines et des running gags à foison (dont l'éternelle question du bassin et de la piscine, ma préférée) - bref, tout ce que j'aime, et sans too much. La mi-roman est toutefois un poil en dessous du reste et trop linéaire à mon goût : on avance, on bastonne, on avance, on bastonne ... vient un moment où même avec les meilleurs répliques du monde, ça ne suffit plus pour accrocher - et ce moment-là il est assez longuet dans Wyld. Heureusement, juste avant que ça devienne sérieusement lassant, Nicholas Eames change son fusil d'épaule et attaque avec une conclusion qui hérisse les poils sur les bras.

Hé oui, la horde de monstres qui assiège Castia, c'est pas une petite troupe touristique venue éprouver les défenses de la cité. C'est l'armée de cauchemar qui s'en vient la rayer toute entière de la carte pour se venger des roquebandes et du système qui les entretient. Les roquebandes, tout le monde adore : ils sont classes, ils sont beaux, ils sont forts ; ce sont les roquestars rockstars du moment et Nicholas Eames nous le fait bien comprendre en incorporant à la mécanique mercenariale de Wyld la notion de tournée, de manager et de représentations en pleins stades - foule en délire et fanclub à la clé. Le hic, c'est que tout ce beau monde s'est empâté dans la gloriole facile qu'offrent une poignée de gobelins d'élevage et quelques vouivres abruties mises à mort lors de représentations savamment orchestrées. Il y a un décalage entre les monstres des arènes et ceux du terrain pur et dur, la jeunesse semble ne pas s'en rendre compte et Nicholas Eames veille à mettre les pendules de chacun à l'heure avec de grands discours comme on les aime, mais aussi de bons gros coups de pied au cul. Tout ça sert un final qui hisse Saga de roquebande légendaire à mythique ... et pour une troupe de bon père de famille, de mage toqué, de pilier de bar, de roi cocufié et de bandit statufié, c'est pas si mal et vous seriez mal inspirés de ne pas être tentés, y a plein de surprise là-dedans !

Et juste en aparté pour que ça reste entre nous : ouais, officiellement c'est étiqueté comme un tome un mais pour moi, ça se lit comme un one-shot et j'en resterai sur cette impression-là, na !


Ma note : 16/20

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