12 avr. 2020

Les montagnes hallucinées, tome 1 de H. P. Lovecraft et F. Baranger – La vérité toute nue sur l'expédition du professeur Dryer


Auteur : H. P. Lovecraft
Illustrateur : F. Baranger
Genre : Fantastique, horreur
Éditeur : Bragelonne
Pages : 64 (album)

Lu dans le cadre du « Hold my SFFF Challenge »

Résumé : « Corona Mundi... Toit du Monde... Toutes sortes de formules fantastiques nous vinrent aux lèvres tandis que nous contemplions, depuis notre point d'observation vertigineux, l'incroyable spectacle. » Arkham, 1933. Le professeur Dyer, éminent géologue, apprend qu'une expédition scientifique partira bientôt pour l'Antarctique avec pour ambition de suivre les traces de celle qu'il avait lui-même dirigée en 1931. Dans l'espoir de dissuader cette tentative, Dyer décide de faire un récit complet des tragiques événements auxquels il survécut, cette fois sans omettre les passages qu'il avait écartés à son retour, de peur d'être pris pour un fou. Deux ans plus tôt, les navires affrétés par l'université Miskatonic avaient accosté le continent glacé au début de l'été austral, et le contingent de quatre professeurs et seize étudiants s'était mis aussitôt au travail. Les premiers résultats ne s'étaient pas fait attendre et le biologiste de l'expédition, le professeur Lake, était parti de son côté avec plusieurs membres de l'équipe afin de suivre une piste fossilifère prometteuse. Au bout de quelques jours à peine, il avait annoncé par radio avoir découvert de stupéfiants spécimens d'une espèce inconnue, extraordinairement ancienne, avant de cesser toute communication après une terrible tempête. Pressentant le pire, Dyer s'était porté à leur secours le jour suivant. Ce qu'il avait découvert sur place dépassait ses craintes les plus folles... 


Chronique : Lovecraft, tout le monde connaît. Mais de là à dire que tout le monde en lit, faut pas pousser bobonne trop loin dans les orties. Toute fana que je suis de littérature de l'Imaginaire et de bons gros récits horrifiques (à mes heures perdues, le frisson, c'est carrément mon truc), il m'a fallu un sacré bout de temps pour trouver le format qui me collait le plus à la peau. Les nouvelles hyper denses version papier, bof, très peu pur moi. Alors quand a débarqué François Baranger et son talent fou d'illustrateur – ou d'illustrateur fou, c'est selon – j'ai bondi sur l'occasion et passé un moment dingue en la compagnie de notre maître à tous et Grand Ancien à tentacules. Seulement Baranger n'en est pas resté à L'appel de Cthulhu. Il a poursuivi sur sa lancée et illustré un autre monument de Lovecraft : Les montagnes hallucinées – également connues sous le joli nom de Montagnes de la folie. Et causer de monument, c'est vachement pertinent dans le cas qui nous occupe : géologiquement, littérairement et graphiquement parlant, cette édition illustrée, elle en impose. Alors chaussez les crampons, enfilez une petite laine et prévoyez un rendez-vous chez un psy sur le retour, on part en Antarctique découvrir une cité inexplicablement ancienne et oppressante juste un poil.

Le professeur Dryer est un éminent géologue de l'université de Miskatonic dont la réputation n'est plus à faire. En 1931, il met sur pied une expédition vers l'Antarctique afin d'y effectuer des prélèvements rocheux prometteurs. Son équipe se compose d'une vingtaine de gens de science : étudiants et aspirants géologues, ingénieurs émérites et professeurs de biologie ainsi que de physique. Rapidement l'expédition porte ses fruits. A peine effectués, les premiers forages offrent à l'équipe quantité d'informations sur la structure du contient ainsi que nombre de fossiles, parmi lesquels un pose particulièrement question. Poussant plus avant les recherches sur l'étrange échantillon, l'équipe met la main sur quelques spécimens inconnus remarquablement conservés par la glace, et dont la structure interpelle autant qu'elle enflamme l'enthousiasme des biologistes. Mais soudain l'atmosphère se fait lourde et la vent balaie davantage le camp, saisissant l'équipe totalement prise au dépourvu ...

Comme pour L'appel de Cthulhu, on ne va pas faire trop long pour Les montagnes hallucinées et le moment au top que j'ai passé dessus. Quand bien même les œuvres de Lovecraft sont sujettes à de nombreuses études poussées côté universitaire (le comble pour un gars qui n'a pas été lu des masses de son vivant), ma petite approche terre-à-terre d'amateure de bouquins calée en sciences me convient bien et sonne plutôt juste avec le ton de la nouvelle – ou plutôt avec celui de sa première partie, Bragelonne ayant divisé comme Ki-oon avant elle la nouvelle en deux tomes. C'est que Lovecraft a beau être un grand personnage littéraire, il m'a tout l'air d'avoir aussi été un sacré homme de sciences (ou du moins un bonimenteur de classe intergalactique). A la lecture des Montagnes hallucinées, j'étais vachement contente d'avoir un solide background de biologie et un petit bagage résiduel de géologie derrière moi pour m'aider à comprendre tout ça. Car oui, soyez prévenus, il y a de l'info là-dedans, et nettement plus que ce qu'on peut facilement saisir grâce aux maigres connaissances scolaires. Les mots choisis par Lovecraft pour coucher sur papier le témoignage de Dryer sont ceux qu'on attendrait d'un rapport d'expert authentique (c'est le but, ça tombe bien) : jamais rébarbatif, c'est pourtant parfois déroutant à la lecture et on s'y paume facilement si on n'y prend pas garde. En dignes gens du XXIe siècle, on n'a plus franchement l'habitude d'user de terminologies exactes : le langage se simplifie, ça fait grosse tête de trop la ramener avec des mots compliqués, tout ça tout ça, et on perd très regrettablement l'habitude d'appeler un chat un chat.

Mais voilà : moi qui pendant mes études me demandais à quoi diable allait pouvoir me servir l'analyse profonde du cycle de reproduction des fougères et de l'anatomie des cnidaires, j'ai enfin trouvé un sens à tout ça – alors huit ans plus tard, merci Lovecraft, merci !

Plus sérieusement, l'auteur se fond ici totalement dans le personnage du professeur Dryer livrant la vérité toute nue sur son expédition dans l'Antarctique. L'idée est d'empêcher d'autres petites curieux de s'aventurer sur leurs traces au nom de la science, et en bon public bien attentionné, on comprend vite que c'est pas pour garder sa découverte pour lui que Dryer prend la plume. Comme on peut l'attendre d'un homme de faits s'adressant à ses pairs, l'approche de Dryer par le biais de Lovecraft est mathématique : au début comme à la fin (plus délicate à rédiger pour cause d'équilibre mental vacillant, comme on s'en doute) il ne s'embarrasse pas de trémolos. Il dresse à la place un compte-rendu exemplaire de l'aventure traumatisante dont il est apparemment l'un des seuls rescapés. Il y a des dates, des coordonnées, des retranscriptions rigoureuses de communications radio et nombre de rapports à l'appui ; bref, il y a des faits avant tout, et tout autour un récit horrifique habilement tricoté. Le must dans tout ça, c'est que ça sonne en conséquence très, très vrai – sans doute trop pour garder un semblant de santé mentale ... une thématique récurrente chez Lovecraft, à savourer sans modération pour les fanas un peu siphonnés de fantastique.

Mais il n'empêche, en pur format papier, tout ça m'aurait sans aucun doute un peu trop alourdi la caboche, et je serais passée à côté d'un moment et d'un texte extras. Sauf que grâce à François Baranger, c'est aéré, ça respire l'air bien frais mais surtout c'est vivant. Chaque page est un régal un peu malsain de lecture et de contemplation, chaque recoin appelle un coup d’œil poussé à gauche, à droite, au fond du tiroir ouvert négligemment là bas au bout de la pièce ... ou au fond de la grotte où Dryer et son équipe ont déniché cinq spécimens fantastiques. Des représentants d'une espèce assez incroyablement ancienne pour susciter un intérêt proche de l'obsession, et à l'anatomie tellement improbable que c'est sans aucun doute une structure alien/mutant/monstre (appelez-les comme vous voulez, zut !) carrément crédible. Parce que bon, les extra-terrestres humanoïdes et insectoïdes, c'est quand même trop beau, trop vu-revu-rerevu et trop commode. Je voulais du WTF qui sorte de la symétrie bilatérale, des deux bras et des deux jambes, et j'ai été servie tellement bien que sans Baranger pour assister mon cerveau clairement pas fait pour se représenter pareille chose, j'aurais difficilement réussi à imaginer tout ça. Encore une fois on a la preuve que le duo fonctionne du tonnerre, et puisse la collaboration durer tant qu'il y aura des nouvelles à illustrer.

La prochaine parution Baranger-Lovecraft ne fait toutefois aucun doute, évidemment : le second tome des Montagnes hallucinées est largement attendu et j'espère que c'est pour bientôt. Du haut des montagnes surclassant l'Everest où il s'est engagé en quête de réponses, Dyer a encore une poignée de chapitres à livrer pour dissuader quiconque d'un jour poser le pied aux abords de la Corona Mundi et de la cité désolée qu'elle garde au frais. C'est une certitude, tout ça n'est pas sans lien avec d'obscures mythes et cultes redoutés ... Bref je sais pas vous mais moi j'ai hâte d'en savoir plus, toujours plus, au sujet de nos Grands Anciens préférés et des formes de vies « primitives » (façon de parler, parce qu'elles ont une tronche à se faire dessus) qui les sont vénérés. Avec L'appel de Cthulhu j'ai mis un orteil dans l'océan Lovecraft, grâce aux Montagnes hallucinées (tome un), j'ai précautionneusement tâté le fond (ouais, j'ai pied), et maintenant que je sais ce qui m'attend au large, j'ai qu'une envie : me balancer à la flotte. Soyez bien inspirés et faites pareil, cette édition est une merveille !

Note : 18/20

Date : 26 mars 2020- 27 mars 2020

4 commentaires:

  1. J'ai offert ce premier volume des Montagnes Hallucinées à mon amoureux mais je ne l'ai toujours pas ouvert (oups). Aucun doute que je prendrai plaisir à le découvrir, j'avais été convaincue par L'appel de Cthulhu.

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    1. Ah, ces cadeaux dont est plusieurs à pouvoir profiter <3 ! J'ai aucun doute sur le fait que tu vas adhérer, si tu as déjà été convaincue par Chtulhu...

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  2. Rolalala ça a l'air tellement bien !

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    1. Ah mais OUI OUI OUI ça l'est ! Je zieute avec impatience la suite en espérant qu'elle ne tarde pas trop.
      Il tourne autour des trente euros, mais vaut largement son prix !

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