11 janv. 2020

Le prieuré de l’oranger de Samantha Shannon - Les dames d‘abord (les dragons ensuite) !

Auteur : Samantha Shannon
Editeur : De Saxus
Genre : Fantasy
Pages : 957 (grand format)

Résumé : La maison Berethnet règne sur l'Inys depuis près de mille ans. La reine Sabran IX qui rechigne à se marier doit absolument donner naissance à une héritière pour protéger son reinaume de la destruction, mais des assassins se rapprochent d'elle... Ead Duryan est une marginale à la cour. Servante de la reine en apparence, elle appartient à une société secrète de mages. Sa mission est de protéger Sabran à tout prix, même si l'usage d'une magie interdite s'impose pour cela. De l'autre côté de l'Abysse, Tané s'est entraînée toute sa vie pour devenir une dragonnière et chevaucher les plus impressionnantes créatures que le monde ait connues. Elle va cependant devoir faire un choix qui pourrait bouleverser son existence. Pendant que l'Est et l'Ouest continuent de se diviser un peu plus chaque jour, les sombres forces du chaos s'éveillent d'un long sommeil… Bientôt, l'humanité devra s'unir si elle veut survivre à la plus grande des menaces.


Chronique : Alors que certains mangent de la choucroute pour se porter chance en ce début d’année, j’ai opté moi pour quelque chose d’un peu plus classieux mais tout aussi appétissant : un bon gros pavé de près de mille pages de bonheur - et bon appétit ! La brique en question, vous en avez forcément déjà entendu parler si vous suivez les tribulations littéraires de la blogo de l’Imaginaire ; il s’agit sans surprise du Prieuré de l’oranger de Samantha Shannon, LA sortie fantasy avec de grands S et F du mois de novembre 2019 - celle qu'il fallait manquer sous aucun prétexte. Des dames qui pour une fois n’œuvrent pas en coulisses, des dragons sortis tout droit des entrailles de la terre et des légendes qui deviennent réalité : il m’en fallait pas plus pour démarrer 2020 sur les chapeaux de roues et je vous souhaite tout pareil ; allez c’est parti, on fait un petit tour à dos de wyrm !

A l’ouest de la mer abyssale que craignent les plus téméraires des marins, le reinaume d’Inys prospère depuis l’accession au pouvoir de la lignée Berethnet - une dynastie de femmes, toutes descendantes du Saint Gallian Berethnet, pourfendeur du terrible Sans-Nom vomi par le mont Effroi voici un millénaire. Le siège d’une reine issue de la sainte lignée sur le trône d’Inys assure la paix et, selon la légende, l’inviolabilité de la prison qui retient la bête. Pourtant voici que les troupes ailées du Sans-Nom s’en reviennent, ravageant villages et campagnes, annonciatrices de malheurs que trop peu sont prêts à entendre. La reine Sabran IX a foi en son sang et nie la réalité tandis qu’Ead, sa servante envoyée par une congrégation de soeurs combattantes, emploie ses talents à la protéger des attentats qui la visent. A l’Est de l’Abysse, Tané s’apprête à toucher du doigt son rêve : rejoindre le clan Miduchi et chevaucher une créature par chez-eux divine - un authentique dragon. Mais alors que la jeune femme brave l’isolement auquel elle est contrainte avant la cérémonie, un réfugié d’Inys s’échoue illégalement sur la plage, sous ses yeux. Un homme qui souhaite réunir l’Est et l’Ouest afin d’affronter la bête maléfique qui, il en est persuadé, s’apprête à déferler une nouvelle fois sur le monde…

Alors bon, dit comme ça, ça a l’air à peu près facile. Un petit traité, un bon vieux mariage forcé et on n’en parle plus, le monde est réuni et prêt à mettre sa rouste au grand méchant. Sauf que non, ça c’était sans compter sur Samantha Shannon. Entre l’Est et l’Ouest, c’est franchement pas la grosse marrade : depuis le Chagrin des siècles un demi-millénaire plus tôt et les ravages causés par l’armée draconique prématurément éveillée, cinq cents ans de superstitions, de méfiance et d’embargo maritime ont semé de part et d’autre de l’Abysse une haine et une xénophobie exemplaires. Comme dans tout bon conflit qui se respecte il y a aussi d’énormissimes divergences d’opinions religieuses gentiment accompagnées par la menace d’une réemergence de peste draconique ; bref y a de quoi comprendre que les deux patries sont pas vraiment prêtes à être bonnes copines. A l’Ouest on méprise et on abat les maudits wyrms ailés cracheurs de feu, enfants du Sans-Nom ; à l’Est on vénère les dragons, longs et sveltes, divines créatures d’eau et de vent : voici le principal désaccord entre deux continents qui pourtant ont déjà fait front commun par le passé. Chacun ignore finalement tout du voisin mais on se traite d’hérétiques de part et d’autres de l’Abysse - bref il y a une grosse ambiance chez Samantha Shannon, on comprend d’emblée que rien ne va être facilement gagné et quand une ou deux concessions sont arrachées à l’un ou à l’autre, on est emballé comme jamais. Le genre d’ambiance où chacun rechigne à tendre la main alors qu’une ennemi millénaire s’éveille, ça donne un coup de fouet à une intrigue déjà ambitieuse et par ici, on aime ! 

C’est que pour le reste, on est aussi sur un gros morceau qui m’a un poil rappelé les légendes auxquelles on a droit dans un bon David Gemmel. Tout est question d’Histoire, de temps de jadis naturellement tombés dans l’oubli et de vieilles légendes dont ne subsistent plus que de rares vestiges. Pour contrer la menace qui vient du coeur du monde il faut se plonger dans le passé, rassembler des éléments perdus et sans doute trop opportunément et miraculeusement déterrés au fil du roman - mais ça fait partie du charme du scénario. Chacun à son rythme déterre une part de vérité mais tout ne fait sens qu’une fois tous les éléments rassemblés au bout de mille pages de plaisir : on parle de comète, de reines, de sorcières et de prêtresses oubliées, de magie cosmique et d’artefacts mythiques évidemment perdus quelque part sur un monde qui bouillonne littéralement de l’intérieur. Découvrir c’est une chose, réunir c’en est une autre et outre la légende qui refait enfin surface, on prend un pied fou à voir les uns évoluer géographiquement parlant vers les autres au gré de leurs parcours persos. Rien de tel qu’un scénario bien subtil pour faire se rencontrer les gens de l’Est et ceux de l’Ouest - et vu l’animosité qui règne il fallait au moins ça pour que ça passe crème.

On a donc du bon background, un scénario bourré de magie et de dragons qui dépotent, mais la cerise sur le gâteau c’est définitivement les personnages du Prieuré de l’oranger. Mesdames et messieurs, place au roman qui fait des femmes des protagonistes de premier choix ; elles œuvrent sur le devant de la scène et pas dans les petits coulisses et une fois n’est pas coutume, la gente féminine est en très large majorité. Enlevez le brave chevalier servant, le vieil alchimiste exilé, le maître espion et le mentor attentionné et vous n’avez plus que de femmes pour se disputer le roman - une bonne grosse vingtaine facile ! Exit les princesses éplorées et les épouses sagement tenues en laisse : ce sont de souveraines torturées entre souhaits et devoirs qu’il est question, mais aussi de battantes aux dilemmes cornéliens et d’intrigantes (très) coriaces. Les amours sont par ailleurs libres et féminines, ce qui n'épargne cependant pas les demoiselles de la nécessité de concevoir - tant qu’on sera les seules à porter un utérus, ça, ça changera hélas pas ! Pour donner une héritière à son reinaume la reine d’Inys doit donc se sacrifier sur l’autel du devoir, et si j’avoue m’être au début agacée sur sa manie de vouloir envoyer tout péter en temps de presque guerre apocalyptique, j’ai par la suite découvert un personnage solidement campé et moins obtus qu’il n’y paraissait. Pratiquement tous les protagonistes voient leurs certitudes et leurs croyances voler en éclats dans Le prieuré de l’oranger et le moins qu’on puisse dire c’est que le chemin vers le rétablissement de la vérité est long, ardu et difficile à aborder pour certains. En mille pages il y a clairement place pour l’évolution de chacun, ça se fait tout seul  - presque en douceur oserais-je dire qu’il n’y avait pas une volée de wyrms assoiffés de sang prêts à fondre sur le monde.

Et les dragons, parlons-en ! Samantha Shannon nous en lance deux types entre les dents : les gentils et les vilains, ceux de l’Est et de l’Ouest, d’inspiration respectivement asiatique et médiévale. A l’Ouest on a amalgamé les deux alors qu’à l’Est on croit en la qualité divine des créatures estriennes, et comme je l’ai dit c’est là que la bât a blessé voici mille ans - et blesse toujours d’ailleurs - un désaccord qui n’est pas sans arranger grandement le Sans-Nom dont le retour approche chaque page un peu plus. Les vouivres, basilics et autres bestioles reptiliennes s’éveillent sous le commandement des généraux de la bête (les Hauts-Ouestriens, ce nom déchire tout) et tout le roman n’est finalement qu’un prélude au grand éveil final. Parce que oui, là où en high fantasy classique on aurait trouvé le Sans-Nom au chapitre deux tout en braises et en crocs, Samantha Shannon nous fait languir tout un roman pour témoigner du premier face à face ; le temps de centrer justement l’intrigue sur les protagonistes et le combat qu’ils mènent non pas contre les démons du Sans-nom, mais contre leurs propres pairs - et ça, c’est ex-tra. Les wyrms sont pas des tendres et faut les éradiquer du monde, mais au fond sont-ce vraiment eux les grands vilains de l’histoire ? Moi j’en suis pas sûre et j’aime qu’on me surprenne ainsi.

Le prieuré de l’oranger est-il un coup de cœur pour autant ? Non, mais c’est un excellent roman que je vous recommande, débutants en Fantasy ou vieux de la vieille - que je vous recommande vraiment. Sa taille peut faire peur mais cette grosse bête là c’est vous qui allez la bouffer et pas l’inverse, ça passe tout seul et c’est du très très bon. Je reste un peu sur ma faim pour toutes ces questions auxquelles je ne pense pas avoir eu de réponse, mais rien de bien méchant ni de quoi en avoir des insomnies. Pour commencer l’année en beauté, vous pouvez sans souci vous lancer de ce pavé.


Ma note : 18/20

Date : 30 décembre 2019 - 07 janvier 2020

20 commentaires:

  1. Et bien, tu me l'as super bien vendue ce roman ! Moi qui ne voulais pas l'acheter ni le commencer cette année (j'ai une PAL à faire baisser), je sens que je vais craquer o/
    Il a vraiment tout pour me plaire, que ce soit l'intrigue, les personnages, la narration, l'univers ❤

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    1. J'ai pas zieuté de ce côté là, mais si tu veux qu'il fasse moins mal au porte-feuille à l'achat, tu peux essayer de le trouver en ebook ! Une réussite pareille, ça m'étonnerait qu'il ne soit pas dispo <3

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  2. Ce livre me fait baver depuis sa sortie, ta chronique m'avait déjà bien convaincu, et puis j'ai vu Le mot magique "Gemmell" ...
    Comme je suis en plus amoureux des dragons, il me faut ce livre ABSOLUMENT !!
    Super chronique, merci.

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    1. Gemmell, gage de qualité depuis des temps (presque) immémoriaux, hi hi !
      Niveau légendes il m'a beaucoup fait penser au style d'histoires à déterrer qu'on trouve dans le Cycle de Drenaï : c'était super bien mené, avec des découvertes pièce après pièces et pas mal de magie.
      Je te le recommande VRAIMENT :-D !

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  3. Je suis vraiment très curieuse de le lire !

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    1. Tu verras, il est gros mais il passe comme une lettre à la poste !

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  4. J'avais vu passer ce titre, cette couv', sans vraiment m'y arrêter, mais là, je dois avouer que tu le vends super bien ! Je n'en fais pas une priorité, j'ai aussi une PAL à faire baisser, mais je lui laisserai sans doute une chance un jour ! Merci pour la découverte !

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    1. Tu as réussi à ne pas t'arrêter sur la couverture ?! :O Moi c'est ce qui m'a TOTALEMENT mise dedans ! Je craque rarement rien qu'au visuel, mais là ... impossible de passer à côté d'une beauté pareille ^-^' . Ce genre de coup de poker ne marche pas toujours mais là j'ai été gagnante et je ne regrette rien.

      C'était avec plaisir et j'espère un jour le voir rejoindre ta PAL - quand elle aura baissé, je comprends !

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    2. Oui, mais justement, cette PAL trop volumineuse à mon goût m'oblige à être très très raisonnable. Donc pas de craquage rien qu'à la couverture pour le moment ! ^^

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    3. Je vous promet que sa vaut le coup moi c'est un coup de coeur assuré je l'ai fini hier je l'ai commencé il y a 3 jours ;-)

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  5. Il a l'air vraiment cool et passionnant, il est dans ma wishlist depuis sa sortie et ton avis me donne méga envie de le lire !

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    1. Vu son prix (25€, quand même), c'est typiquement le genre de livre à recevoir pour un anniversaire ou autre. Si jamais le tien n'est pas encore passé et que tu es motivée ... N'hésite pas, il est TOP :-D

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  6. Elle est trop bien ta chronique, j'adore ! et en plus je suis tout à fait d'accord avec ton avis :)

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    1. Aaaaah un autre adepte du Prieuré !
      J'espère qu'on sera de plus en plus nombreux à l'avoir lu et adoré, le livre le mérite ^-^ .
      Merci !

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  7. Ta chronique me met clairement l'eau à la bouche (presque autant qu'une bonne choucroute dîtes-donc 😂). Le bouquin est dans ma Pal et, pour être entièrement franche, ses 900 pages me font un peu peur !
    Mais bon, que cela soit la narration, l'univers (des dragons putaaains 😍), les personnages, il a vraiment tout pour ravir mes papilles livresques !

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    1. Si c'était aussi appétissant qu'une choucroute, j'ai réussi am mission, LOL :-D
      Comme je l'ai dit à d'autres, vas-y les yeux fermés : il passe ULTRA rapidement (et bon, le papier est épais, si ça peut t'aider à te lancer ...).
      Et oui, DRAGONS, quoi ! *.*

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    2. Choupaille j'ai fini le Prieuré mais me conseillerez vous de lire la saga du Sorceleur ?

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  8. Waaaah super chronique ! Il a l'air vraiment top !! Il est dans ma PAL et attend bien sagement dans ma bibliothèque que je termine la saga du Sorceleur :D

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  9. Waaaah super chronique ! Il a l'air vraiment top !! Il est dans ma PAL et attend bien sagement dans ma bibliothèque que je termine la saga du Sorceleur :D

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  10. Chère Choupaille, je suis intriguée ! D'accord, je vois ce livre partout et tu en as dit du Grand Bien. J'aimerais bien me faire un avis, je vais donc le lire :) Bon, et presque 1000 pages, c'est aussi un argument motivant, je pourrai le découvrir cet été lors du challenge Pavévasion :D (bah quoi, on se motive comme on peut, non ?)

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